samedi 31 janvier 2015

Lectures 2014 - seconde partie

Dans un article précédent j'écrivais un court commentaire de chaque livre que j'ai lu durant l'année 2014, jusqu'à m'arrêter à la moitié. Voici la suite.


Markham ou la dévoration, Mike Resnick

J'ai déjà parlé de Mike Resnick. Il élabore ici une réécriture du mythe de Moby Dick, où la créature est remplacée par un scientifique de génie disparu depuis des années, et le capitaine Achab par un journaliste téméraire à l'ambition démesurée. Une part de l'intérêt du récit est qu'il soit raconté du point de vue d'un explorateur de planète en charge de l'expédition, mais qui en perd peu à peu le contrôle. L'absence de prise de position tranchée de la part du narrateur, laisse le loisir au lecteur de se faire sa propre opinion sur le journaliste dont la folie contamine l'équipage. En effet sa cruauté sert un intérêt supérieur : retrouver un vaccin qui permettra de sauver des millions de vie. Par ailleurs, comme presque toujours chez cet auteur, on y retrouve des réflexions sur la colonisation. Meilleur que "Ivoire", qui à la réflexion ne sortait pas vraiment du lot.


Photographie plasticienne, l'extrême contemporain, Dominique Baqué

Étudiant pendant trois ans dans une école qui favorise souvent le style documentaire et la "straight photography", je dois avouer que la photographie plasticienne n'est pas vraiment ma tasse de thé. Raison de plus pour qu'un de nos professeur nous demande de lire cet ouvrage. Au final, je reste toujours perplexe devant la sécheresse de certains travaux trop conceptuels pour moi (on ne fait pas de la photo uniquement avec des idées...), mais force m'est d'avouer que je me suis pris au jeu de cette lecture pourtant peu évidente. Un panorama de la création dans ce domaine, mais surtout une introduction à ses problématiques.


Thomas le rimeur, Ellen Kushner

Un bon roman de fantasy à propos d'un barde à la destinée exceptionnelle, qui fut notamment enlevé par la reine des Elfes. J'ai apprécié cette histoire racontée par trois narrateurs successifs, mais je ne suis pas certain que cette lecture m'ait profondément marqué, ce que j'ai trop souvent la faiblesse d'attendre de la part d'un livre.


Charades pour écroulés, Raymond Chandler

Chandler, c'est l'inventeur de Philip Marlowe, le plus célèbre des détectives privés, souvent interprété au cinéma par Humphrey Bogart. L'imper, la cigarette, le chapeau, c'est lui. Ce livre est l'une de ses enquêtes, on en retrouve toutes les caractéristiques : femmes fatales à chaque coin de rue, gueules patibulaires, intrigue complexe composée d'un écheveau de fils entremêlés... Dommage que ce ne soit que ça et que l'on n'atteigne jamais le niveau de son chef-d’œuvre Le grand sommeil.


Tout comptes faits... ou presque, Stéphane Hessel

Après Indignez-vous ! qui avait eu un énorme succès (4 millions d'exemplaires vendus), Stéphane Hessel a développé ses idées dans plusieurs publications qui n'ont pas connu le même retentissement. Des idées consensuelles selon certains, mais il suffit de voir l'opposition qu'il a soulevé chez des imbéciles, pour comprendre qu'il n'est pas inutile de les défendre à nouveau. Comme le titre l'indique, c'est une forme de testament de l'auteur : un retour sur son parcours de résistant puis d'ambassadeur, mais aussi un moyen de parler de sa vision du monde. Avant tout, c'est son optimisme qui transparait dans ses propos : la crise sociale, environnementale et politique que nous vivons actuellement est selon lui les prémices d'un changement qui pourrait amener un monde meilleur. Ce n'est pas un vraiment un philosophe, non plus un grand écrivain (il ne faut donc pas s'attendre à du Sartre), mais un citoyen engagé qui propose des réflexions dignes d'intérêt.


Cartographie du merveilleux, André-François Ruaud

Ce livre est une mine d'or, puisqu'il s'agit d'un guide de lecture de la fantasy. Après une introduction qui présente l'histoire et les caractéristiques du genre, il propose un court commentaire sur 100 publications dans ce domaine. Le problème de ce genre d'exercice c'est que s'agissant d'une sélection, qui plus est éditée selon les circuits traditionnels, il est prié de recouvrir d'un voile pudique les ouvrages méritant des critiques négatives. Il eut été plaisant et instructif en effet d'assaisonner de propos amers la salade d'éloges qui est faite. Cela dit, l'immense culture de l'auteur fait de ce bouquin le meilleur moyen de faire des découvertes. On s'aperçoit aussi grâce à ce panorama de la formidable diversité et de la créativité du genre fantastique, bien souvent cachée malheureusement par la horde des publications mainstream, qu'André-François Ruaud appelle non sans humour " BCF", pour "Big Commercial Fantasy" (qui a dit Goodkind ?).


La déchirure, Robin Hobb

J'en parlais à l'instant, on est en plein dedans. Ce livre est typique des romans de fantasy écrits par des professionnels (qui vivent de leur plume) et destinés à des adolescents. Robin Hobb est d'ailleurs une spécialiste du genre et ce premier tome inaugure un nouveau cycle intitulé Le soldat chamane. Mais ce n'est pas que cela, car au delà de la quête initiatique plutôt conventionnelle et de l'univers "médiéval-fantastique" assez générique, quelques idées originales surviennent. Par exemple, cette race à la culture proche de celles des amérindiens qui est le prétexte à un choc culturel pour la narrateur. Bref, une série que j'aurais aimé lire adolescent et que je continuerai avec plaisir... si je trouve la suite d'occasion.


Marcovaldo, Italo Calvino

Une suite de courts récits d'une poésie rafraîchissante. Marcovaldo est un prolétaire rêveur, qui se désole de ne pas pouvoir habiter à la campagne et de devoir se serrer la ceinture pour nourrir ses enfants, mais qui trouve l'aventure à chaque coin de rue. Calvino est dans le registre du conte, ce qui ne l'empêche pas de dépeindre avec tristesse notre société de consommation et d'urbanisation effrénée où l'humain a bien du mal à trouver sa place.


Le mec de la tombe d'à coté, Katarina Mazetti

Une histoire d'amour à la croisée d'Anna Gavalda et de Bridget Jones entre deux personnes que tout oppose, une bibliothécaire et un agriculteur. Alors oui, c'est drôle, oui, c'est touchant, parfois même pas si bête, mais je n'ai pas pu m'empêcher d'être agacé par le mélange de guimauve et d'humour trash, qui correspond trop précisément à ce qui plaît souvent au lectorat féminin.


Platonov, Anton Tchekhov

La claque que je me suis pris dans la gueule à 18 ans. L'une de mes très rares relecture, faite parce que j'avais le cafard. Toujours mon auteur de théâtre préféré.


Théorie du corps amoureux, Michel Onfray

Cette lecture s'est déroulée en parallèle d'une réflexion que j'effectuais au même moment sur les relations amoureuses et j'aurais aimé y consacrer un article entier. Avant tout, cet essai de philosophie est un manifeste pour le libertinage. L'auteur, selon sa méthode habituelle, y présente à travers une "généalogie du désir", un panorama de l'histoire de la philosophie occidentale sur le sujet. Il la divise en deux traditions. Pour résumer il y aurait d'un coté les essentialistes masochistes (Platon, Pythagore, les chrétiens) et de l'autre les matérialistes jouisseurs (Épicure, Lucrèce, Ovide). Lui-même se situe dans les seconds tandis que les premiers seraient responsable de l'ensemble des malheurs de l'humanité (l'Inquisition, c'est la faute de Platon). Ce qui est touchant chez Michel Onfray, c'est que bien que son argumentation soit rigoureuse, j'ai le sentiment que ses idées proviennent en réalité d'abord de raisons personnelles. Qu'elles qu'en soit les causes, cela n'enlève d'ailleurs rien à leur valeur et c'est peut être le cas pour la majorité d'entre nous. En véritable philosophe, il a cependant  le courage de ne vouloir juger une idée qu'à l'aune de sa propre réflexion, ce qui l'amène comme beaucoup d'intellectuels à se tromper peut être tout autant, mais de manière différente que le commun des mortels. Par contre, autant sa prise de parole est claire et concise, autant son style à l'écrit est excessivement recherché (complexe par rapport à ses origines modestes ?). Malgré quelques erreurs lorsqu'il s'aventure sur des sujets qu'il ne connait pas (la prétendue liberté sexuelle que connaitrait l'Asie...), sa démonstration permet de prendre du recul par rapport à notre conditionnement social concernant notre vision des relations amoureuses, et en particulier le couple érigé en modèle. En effet, que ce soit dans le Banquet de Platon ou à travers les écrits parfois délirants des théoriciens du christianisme, l'idéologie dominante en Europe depuis deux mille ans dégrade le plaisir sexuel et glorifie l'amour spirituel monogame. Ce qui selon notre auteur, amènerait dégout du corps, misogynie et intolérance vis à vis de tout ce qui serait considéré comme "impur". Que l'on soit d'accord ou non avec ces conclusions, ce regard critique aide l'individu à s'émanciper et ainsi à faire un choix. En fin de compte, la philosophie c'est un peu comme l'éducation populaire : permettre à tous de se former tout au long de sa vie afin d'être libre.


Phèdre, Platon

Esprit de contradiction, quand tu nous tiens... Après avoir lu tant de mal sur Platon, il fallait absolument que je me refasse une opinion. Au final, le papy de la philosophie paraît bien inoffensif. Et pourtant, on est ici en plein dans le sujet qui met hors de lui tonton Onfray, puisque dans ce texte Socrate s'attache à prouver l'immortalité de l'âme (par un raisonnement bidon, soit dit en passant). Ce que j'aime chez lui, c'est que comme dans Le Banquet, on sent qu'il s'agit encore d'une civilisation de l'oral. Les démonstrations sont parsemées d'anecdotes en apparence anodine, qui rendent la lecture plaisante et dont on ne sait quelle part est due au hasard. Personnellement cela me fait penser aux Evangiles.


Légendaire, Anthologie

Moi qui me plaignait justement de la monotonie de la littérature en Fantasy, genre que pourtant j'apprécie, ce recueil de nouvelles en est le parfait contre-exemple. Pas une seule vraie fausse note et de nombreuses perles parmi ces textes écrits par des auteurs français, dont tous sauf deux avaient moins de trente ans au moment de la publication. Félicitations en particulier à Fabrice Colin, Mathieu Gaborit et Magali Ségura pour leur style et leur imagination. A coté de cela, d'honnêtes pastiches de Roger Zelazny, Jack Vance ou Glen Cook qui soulignent la difficulté de s'éloigner des influences anglo-saxonnes. Sans conteste une réussite cependant, que l'ont peut attribuer à Stéphane Marsan pour avoir réuni ces textes. Un vent rafraichissant dans une contrée littéraire qui à tendance à prendre la poussière.


Le barbier de Séville, Caron de Baumarchais

Célèbre comédie dans la lignée de celles de Molière (ce dont l'auteur ne se cache pas dans sa lettre à la critique), avec des quiproquos, un ton irrévérencieux et une attention peut être encore plus recherchée dans le style. Comme pour beaucoup de pièces, j'ai cependant du mal à me faire une idée à la simple lecture de ce que cela doit donner sur scène.


Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Mathias Enard

Souvenirs... Un livre commencé la première fois alors que je partais pour deux semaines inoubliables à Istanbul avant de venir m'installer à Rome. Comme un pont entre l'Europe et l'Orient, pont que doit construire symboliquement Michel-Ange pour relier les deux continents à la demande du sultan Bayazid. Et en effet, c'est un choc culturel qu'expérimente l'artiste, résolu en partie à travers son amitié ambiguë avec le poète ottoman Mesihi de Pristina. Lecture abandonnée une première fois donc, car je n'étais pas dans les dispositions adéquates. Il est vrai que l'intérêt de ce récit ne se trouve pas dans l'histoire, mais dans la description des sensations, des peurs et des étonnements de l'artiste face à ce monde inconnu. Une écriture recherchée, faite de touches impressionnistes distribuées en chapitre parfois d'une seule page. Un long poème en quelque sorte, sur une expérience que le génie italien traverse comme dans un rêve

Il y aurait de nombreux titres à ajouter à cette liste, car comme Pennac je me réserve le droit de ne pas finir un livre (en particulier quand il est mauvais, ce qui explique la relative mansuétude de mes critiques). Parmi ceux-ci, citons quand même "Paradis perdu, suivi de La cinquième colonne" d'Hemingway, qui malgré son indéniable talent est vraiment trop distant pour moi. Pas abandonné mais en pause, "Les frères Karamazov" de Dostoïevski, génial mais l'équivalent en littérature du pudding et je préfère prendre mon temps pour continuer de le dévorer avec plaisir. Après coup, je me rends compte que non seulement cette année la moitié des auteurs que j'ai lus étaient anglo-saxons, mais qu'en plus il n'y avait que cinq femmes dans le lot ! Non que je pense devoir respecter une quelconque parité dans mes choix, il est quand même dommage de ne pas plus m'ouvrir sur d'autres horizons : maintenant que j'en ai conscience, je suis sur que mes envies en tiendront compte.

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