mercredi 16 février 2011

La pierre et le sabre, Eiji Yoshikawa

J'ai enfin fini ! Non que les quelque huit cents pages de ce roman de sabre soient difficiles à avaler ; j'ai seulement renoncé, en septembre, à l'emporter avec moi, de peur de ruiner mon début d'année – c'est le genre de roman qui ne vous laisse pas faire autre chose s'il est à porté. Je me suis donc replongé dedans en ce début de vacances, et je l'ai achevé. Il serait tentant de commencer sa suite, La parfaite lumière, mais elle attendra l'été.

C'est peut-être le plus connu des romans de sabre japonais : la quête de Myiamoto Musashi dans la Voie du guerrier, qui se révèle bien vite être une quête complète, une conquête de la sagesse même. Atteindre la perfection dans la maîtrise du sabre entraine l'atteinte de la perfection dans tous les domaines ; d'où l'extrait que je vous propose, où notre héros se trouve confronté à une tige de pivoine coupée par un vieux maître, Sekishusai.


Extrait :

Les vingt centimètres du morceau de tige fascinaient Musashi beaucoup plus que la fleur de l'alcôve. Il était sûr que la première entaille n'avait été faite ni avec des ciseaux, ni avec un couteau. Les tiges de pivoine étant souples et tendres, elle ne pouvait avoir été faite qu'avec un sabre, et seul un coup résolu pouvait avoir tranché aussi net. Quiconque avait fait cela n'était pas un être ordinaire. Lui-même avait eu beau tenter de reproduire l'entaille avec son propre sabre, en comparant les deux extrémités, il se rendait compte aussitôt que la sienne était inférieure, et de loin. On eût dit la différence entre une statue bouddhiste sculptée par un expert, et une autre due à un artisan moyennement habile.

Il se demanda ce que cela pouvait bien vouloir dire. « Si un samouraï qui cultive le jardin du château est capable de faire une entaille comme celle-ci, alors le niveau de la Maison de Yagyu doit être encore plus élevé que je ne pensais. »

Sa confiance l'abandonna soudain. « Je suis encore bien loin d'être prêt. »


Comment ne pas apprécier un tel roman ? C'est une formidable histoire, des personnages hauts en couleur qui ne cessent de se croiser, des rencontres magiques entre grands maîtres qui vous font sourire intérieurement et pousser – toujours intérieurement – un petit « hé hé hé » de satisfaction. En amateur de l'art du samouraï, depuis Kurosawa jusqu'à Samouraï Champloo, je ne pouvais qu'être ravi – j'en profite pour remercier « Bob » qui m'en a fait cadeau.

Il n'en reste pas moins que le style est des plus laborieux. La faute est-elle à imputer à la traduction, ô combien difficile, du Japonais au Français ? Peut-être pas uniquement... Encore une fois, c'est l'occasion de voir qu'une grande histoire, à même de charmer mon esprit avide d'aventure et de recherche de la perfection, permet de passer outre les gênes de lectures d'un style peu agréable. Rien là de la délectation de la phrase que je recherche dans mes lectures habituelles. Rien de vraiment original non plus, tout bien considéré, dans l'intrigue et ses éléments. Un roman pur et dur, en somme – pour mon plus grand plaisir, à vrai dire.

dimanche 13 février 2011

Eclipses 2000 - Lino Aldani


Pour certains la science-fiction est censée surprendre, déranger, remettre en cause les certitudes du lecteur. Et  pourtant dès les premières lignes, l'amateur de cette littérature se retrouve en terrain connu. Cette façon de penser d'un intellectuel occidental. Cette identification du lecteur au personnage principal, lui-même souvent reflet de l'auteur. Ce style classique est typique des écrits d'Asimov, de Simak et de la plupart des écrivains américains des années 50 qui ont fait école. Ce goût pour le questionnement, la spéculation. Ces thématiques qui reviennent, toujours les mêmes et le dénouement qui arrive malgré tout à surprendre grâce à une "idée" sur laquelle est construite l'histoire. La première nouvelle, qui fait plus de la moitié de ce recueil homonyme est une belle représentante de cette tradition, bien qu'elle ait été écrite par un italien à la fin des années 70. Un vaisseau à quitté la Terre voici plusieurs génération pour atteindre une autre planète vivable. Oui, mais voilà que l'un de ses passagers commence à se poser des questions. Est-ce bien la réalité ? Quels secrets cache la caste des "blancs" qui possède le pouvoir ? Divisé en deux parties, ce texte nous tient en haleine jusqu'au bout grâce à une intrigue certes assez classique mais très bien maîtrisée. Les trois suivants, légèrement moins prenants, sont tout de même très lisibles. Ils abordent tous le thème du pouvoir et mettent en scène des narrateurs en perpétuelle interrogation. Pour exprimer leur confusion l'auteur utilise parfois un style plus libre, surtout dans la dernière nouvelle.

Note : 3/5

mercredi 9 février 2011

Le Désert des Tartares, Dino Buzzati


Giro in Italia :
lire au moins 1 livre ou 1 BD d’un auteur italien (peu importe qu’il se déroule en Italie ou pas) = mission accomplie !

J'ai acheté ce livre il y a bien trois ans maintenant. De Buzzati, je connaissais l'écrivain de nouvelles : Le K. Un de mes recueils de nouvelles préféré. Un sens magistral du micro-récit, des idées souvent géniales et une interrogation constante sur l'homme et la vie. Le Désert des Tartares est le premier roman de l'écrivain italien, paru en 1949. Un jeune officier est envoyé en garnison au fort Bastiani, qui garde la frontière Nord. Des montagnes desséchées, un désert qui s'étant à perte de vue, pas âme qui vive. Des hommes sont là pour garder – mais garder quoi ? Rien ne vient du Nord. Il ne se passe jamais rien, et le temps passe, uniforme. Pourtant, chacun, au fond de soi, entretient le vague espoir que quelque chose va arriver. Même des années après, on y croit encore, à l'éveil de cette frontière ; des petits points noirs à l'horizon. Et quand ils finissent par arriver, qu'on ose à peine y croire...est-ce vraiment la guerre ?
Je lis peu de traduction maintenant, et chaque fois que je le fais je me rappelle pourquoi je n'aime pas ; on sent la grosse patte pas toujours subtile d'un traducteur, on ne peut pas saisir pleinement le style de l'auteur. C'est comme ça. Enfin, heureusement qu'on peut découvrir des écrits qu'on ne peut lire en langue originale, il y a tout de même quelque chose à apprendre ; tout ne se résume pas au style. L'abîme ouvert par Buzzati dans son roman est immense. L'extrait que je vous propose donne justement un aperçu de cette réflexion sur le temps et l'attente.

Extrait :
Tronk, à qui Giovanni avait tout à l'heure demandé des renseignements, lui avait fait comprendre que la bonne règle était de rester éveillé.
Au lieu de cela, Giovanni Drogo, étendu sur le petit lit, hors du halo de la lampe à pétrole, fut, tandis qu'il songeait à sa vie, pris soudain par le sommeil. Et cependant, cette nuit-là justement – oh ! s'il l'avait su, peut-être n'eût-il pas eu envie de dormir – cette nuit-là, justement, commençait pour lui l'irréparable fuite du temps.
Jusqu'alors, il avait avancé avec l'insouciance de la première jeunesse, sur une route qui, quand on est enfant, semble infinie, où les années s'écoulent lentes et légères, si bien que nul ne s'aperçoit de leur fuite. On chemine placidement, regardant avec curiosité autour de soi, il n'y a vraiment pas besoin de se hâter, derrière vous personne ne vous presse, et personne ne vous attend, vos camarades aussi avancent sans soucis, s'arrêtant souvent pour jouer. Du seuil de leurs maisons, les grandes personnes vous font des signes amicaux et vous montrent l'horizon avec des sourires complices ; de la sorte, le cœur commence à palpiter de désirs héroïques et tendres, on goûte l'espérance des choses merveilleuses qui vous attendent un peu plus loin ; on ne les voit pas encore, non, mais il est sûr, absolument sûr qu'un jour on les atteindra.

C'est assez proche, dans l'idée, des romans de Gracq Le rivage des Syrtes et Un balcon en forêt ; l'atmosphère d'attente, l'exploration métaphorique de la vie...mais l'écriture n'a rien a voir. J'ai lu Buzzati avec plaisir, mais pas le même plaisir qui me fait dévorer un Gracq, c'est certain. Cependant je dois dire que la réflexion philosophique a fait mouche, et qu'après l'avoir commencé, comme maintenant que je l'ai terminé, j'ai passé quelques moments dans un vague métaphysique assez déroutant. Un véritable interrogation humaine, poignante et toujours d'actualité.

lundi 7 février 2011

Indignez-vous ! - Stéphane Hessel


Extrait 1 :
Le motif de base de la Résistance était l'indignation. Nous, vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes  de la France, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la Résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.

Je viens tout juste de terminer cet étonnant et incroyable succès littéraire (11ème édition !) qu'est "Indignez-vous !", livret d'une trentaine de pages rédigé par un ancien résistant et vendu trois euros par une toute petit maison d'édition (Indigènes). D'accord, tout cela est bien joli, mais que dit il ? S'il revient rapidement sur son expérience de résistant, c'est pour évoquer l'héritage du Conseil National de la Résistance qui est aujourd'hui menacé (retraites, sécurité sociale, liberté de la presse...) De même son engagement politique qui l'a amené à être co-rédacteur de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (excusez du peu !) luit fait prendre la défense de ceux-ci. Cependant ce n'est pas un livre de mémoires et Stéphane Hessel, à l'orée de sa vie, appelle le lecteur à se révolter contre les motifs d'injustices actuels, qui peuvent paraitre dans un monde "trop complexe" moins évidents qu'ils ne l'ont été au XXe siècle. Quels sont ils selon lui ? Tout d'abord "L'immense écart qui existe entre les très riches et les très pauvres et qui ne cesse de s’accroitre". Puis les Droits de l'Homme, thème qu'ils développe longuement. Enfin il consacre un chapitre entier sur son "indignation à propos de la Palestine". Il clôt son ouvrage par un appel à "une insurrection pacifique", selon lui plus efficace que la violence, qui si elle est souvent compréhensible est inégalement inacceptable. De mon point de vue le succès de ce livre s'explique facilement : dans une société dont la réalité est de plus en plus éloignée des valeurs de solidarité et alors que se développe un sentiment général d'injustice, beaucoup de gens trouvent dans Stéphane Hessel un porte-parole inespéré pour crier leur indignation. Il suffit de voir les bâtons dans les roues qu'essayent de lui mettre certains lobbies (dont le CRIF pour ne pas le citer) lorsqu'il veut rappeler des principes aussi simples que le respect des Droits de l'Homme, pour comprendre que ce n'est pas inutile.

Extrait 2 :
Non, cette menace (Ndr : "la barbarie fasciste") n'a pas totalement disparue. Aussi, appelons-nous toujours à une "véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous."
A ceux et celles qui feront le XXIe siècle, nous disons avec notre affection :

"CREER, C'EST RESISTER.
RESISTER, C'EST CREER."

Note 5/5

dimanche 6 février 2011

L'attrape-coeurs - J.D. Salinger


Depuis le temps que je la cherchais ma putain d'errance américaine... Ce livre je voulais pas le lire. Vrai. Il était juste posé sur une armoire, verte avec des godasses dedans et il me faisait de l’œil. Alors j'ai lu le début, juste comme ça, parce que je cherchais un bouquin à emmener aux toilettes. Puis le nom me disait quelque chose, je savais plus trop si c'était connu ou quoi, en plus ça ressemblait à L'arrache-cœur. Dans ce bouquin c'est un gars qui se fait virer de son collège, parce que c'est une école de schnocks et que ça le blase quand on lui dit qu'il faut se suicider ou un truc comme ça si l'équipe de foot perd un match. Du coup il met les voiles et il se paie une virée à New York. Ce gars, je l'aime bien. Des fois il fait un peu gamin mais juste après il sort un truc vachement intelligent et puis j'aime bien comment il raconte et tout. A la fin du bouquin on a presque envie de passer un coup de bigo à l'écrivain. Pas pour le remercier, ni rien, juste pour parler un petit moment avec lui, mais c'est pas possible parce qu'il est mort. Même qu'il parait qu'il était misanthrope. Ça c'est ma mère qui me l'a dit. Misanthrope. Ouah ! Ça m'a tué.

Extrait :
Le nom du gars c'était Georges quelque chose - je me rappelle même pas - et il était à Andover. Tu parles. Vous auriez dû le voir quand Sally lui a demandé comment il trouvait la pièce. C'était le genre de mec bidon qui a besoin d'espace pour répondre quand on lui pose une question. Il a reculé, et il a marché en plein sur le panard de la dame qu'était derrière lui. Il lui a probablement cassé tous les orteils. il a dit que la pièce en elle-même était pas un chef-d’œuvre mais que les Lunt bien sur étaient tout simplement des anges. Des anges. Ça m'a tué. Puis lui et Sally se sont mis à parler d'un tas de gens qu'ils connaissent tout les deux. C'était la convers' la plus débile que j'aie jamais entendue.
Note : 4/5

samedi 5 février 2011

Le coffre d'Avlen - L. Sprague De Camp


De L. Sprague De Camp je ne connaissais que l'excellent "De peur que les ténèbres", l'histoire d'un américain de séjour à Rome projeté à l'époque de l'empire romain. Cette fois ci je le redécouvre par hasard dans la collection "Présence du futur" (eh oui, encore...) affublée pour cette réédition du sous-titre "Fantasy". Et en effet c'est bien de pure fantasy qu'il s'agit ici, sans prétention mais bien écrite, avec des filles à poil et de la magie ("trop cooool !" diront ceux qui ont à peine trois poils au menton), mais pas seulement. Au début de l'histoire Jorian est sur le point de se faire couper la tête, comme c'est la tradition pour les rois de Xylar après cinq ans au pouvoir. Autant dire dans une sale situation. Et ce ne sera pas la dernière. Enchainé par un sort qui l'oblige à se mettre à la recherche du coffre d'Avlen, un artefact très puissant, il parcourt de nombreux pays en compagnie du magicien Karadur dont les enchantement ont des effets pour le moins... imprévisibles ! Avec "Le coffre d'Avlen" (dont wikipedia m'informe qu'il fait partie du "cycle Novarian") l'auteur ne cherche clairement pas à réinventer l'eau chaude puisqu'il s'agit d'un récit d'aventure, mais parvient grâce à son inventivité et la fluidité de son style à éviter la faiblesse de (très) nombreux bouquins similaires. Par exemple chaque nation traversée par les personnages a ses propres mœurs, lois, religions et particularismes. Ce n'est pas creusé très profondément (rien à voir avec Tolkien) mais les quelques traits dressés suffisent à faire voyager le lecteur. De même si notre héros n'hésite pas à utiliser la force pour se sortir des nombreuses situations épineuses, il compte surtout sur sa ruse (tel Cugel l'Astucieux...) et sa formidable capacité à raconter des histoires. Celles-ci font d'ailleurs partie intégralement du récit et constituent d'agréables récréations. Enfin l'humour bien maitrisé et omniprésent fait de ce livre un agréable moment de lecture.


Extrait :
Un conseiller du roi explique à Joran les règles de politesse invraisemblables qui régissent la cour de Mulvan.

Bon, passons à la grammaire. En vous adressant à Sa Majesté, vous vous servirez naturellement des formes les plus polies. Les phrases dont Sa Majesté est le sujet ou l'objet se mettent au subjonctif, à la troisième personne du singulier.
Pour approcher un membre de la famille royale, ou un membre du clergé dans l'exercice de ses fonctions, vous devez vous arrêter à six pas de sa personne, et toucher le sol du front une fois. En vous adressant à de telles personnes, vous devez utiliser le mode indicatif, à la troisième personne du singulier, avec adjonction du suffixe -ye.
Pour approcher un membre de la noblesse mulvanienne, vous devez vous arrêter à trois pas de la personne, et vous incliner jusqu'à ce que votre corps soit parallèle au sol. En vous adressant à de telles personnes, vous parlez à l'indicatif, troisième personne du singulier, sans adjonction du suffixe honorifique. Le noble doit vous rendre votre salut, mais seulement en inclinant le corps suivant un angle de quarante-cinq degrés...

Note : 3/5