jeudi 15 décembre 2011

Notes sur le cinématographe, Robert Bresson


J'ai reçu ces Notes... comme cadeau d'anniversaire de la part d'une amie cinéphile, et me suis donc empressé de les lire. « empresser » n'est pas le terme qui convient : j'ai grappillé ces notes au fil des jours, page après page, pour les digérer.

C'est un des premiers ouvrages que je lis qui s'apparente à ce qu'on pourrait appeler la « théorie du cinéma ». Mais ici, c'est l'auteur de film qui parle, et on sent bien que chaque observation est le fruit d'une pratique quotidienne de cet art que Bresson qualifie de cinématographe, et qu'il oppose radicalement au cinéma, qui est du théâtre mis en image. Presque la moitié des Notes... font référence à cette dichotomie entre le cinéma, pratiqué par tous ou presque, qui utilise les acteurs de théâtres, les moyens du théâtre, la manière de penser l'art du théâtre, et le cinématographe, art grand et noble, dont rares sont les véritables représentants. Il y a de belles choses à tirer de cette distinction, indéniablement. Je suis persuadé que le cinématographe doit en effet s'efforcer de construire ses propres codes, ses propres règles, et qu'elles ne sont pas les mêmes que celle du théâtre. Mais voilà, on finit par se lasser des remarques de Bresson sur cette distinction.

Un certain nombre de remarques, sur d'autres aspects du septième art, font mouche. Je me propose de vous en offrir quelques unes à lire :

« Sois sûr d'avoir épuisé tout ce qui se communique par l'immobilité et le silence. » Voilà un minimalisme qui me parle. Bresson n'est pas réfractaire à l'utilisation de la musique dans les films, mais on sent bien sa réticence face à un cinéma qui en fait sa bouée de sauvetage. Et regardez aujourd'hui...

« Ne cours pas après la poésie. Elle pénètre toute seule par les jointures. »

« Le cinéma sonore a inventé le silence. » Remarquer une évidence, qui, lorsqu'on en prend conscience, ouvre des champs (et des chants) infinis. Waw.

« Ne pense pas à ton film en dehors des moyens que tu t'es faits. » Phrase excellente pour tous les cinéastes en herbe qui s'efforcent de faire un film à partir de trois fois rien. Inutile de s'égarer à rêver à des moyens que l'on a pas. Et cela est vrai pour beaucoup de chose. Un pragmatisme fort utile, voire même salvateur.

« Le réel arrivé à l'esprit n'est déjà plus du réel. Notre œil trop pensant, trop intelligent. Deux sortes de réel : 1° Le réel brut enregistré tel quel par la caméra ; 2° ce que nous appelons réel et que nous voyons déformé par notre mémoire et de faux calculs. Problème. Faire voir ce que tu vois, par l'entremise d'une machine qui ne le voit pas comme tu le vois. »


Une lecture enrichissante, au bout du compte, et fort peu contraignante. A grignoter, amis cinéphiles. Et, en sus, cela donne envie de voir les films de Robert Bresson.

Session de rattrapage : A Song of Ice and Fire



Je n'ai pas posté d'article depuis six mois, mais je n'ai pas cessé de lire pour autant. Et j'ai notamment avancé dans la lecture de l’œuvre de George R. R. Martin, dont j'ai A Clash of Kings et A Storm of Swords courant septembre. Je suis actuellement plongé dans A Feast for Crows, entamé après une pause qui m'a permis de lire des ouvrages plus « scolaires » – mais pas inintéressants pour autant – auxquels je vais d'ailleurs consacrer quelques articles.

Autant faire un article qui aborde les tomes deux, trois et quatre de la saga. C'est finalement une seule grande épopée que dévoile l'auteur, même si les livres offrent chacun une réelle unité, autour du titre et des personnages suivis.

L'évolution de la saga peut se résumer ainsi : toujours plus loin, toujours plus grand. Une myriade de nouveaux personnages, de nouveaux lieux ; de nouvelles cultures, de nouveaux cultes, de nouvelles manières de penser. Et toujours le même enthousiasme à lire. Il grandit même à mesure que se complexifie le « game of thrones ». Le tome trois m'a particulièrement impressionné. Certains mystères restés en suspens depuis les premiers chapitres du premier tome sont dévoilés, et l'auteur se fait toujours un art de brutaliser le romanesque pompier de la fantasy traditionnelle, en prenant des contre-pieds adroits. Je suis contraint de rester dans le vague pour ne rien spoiler, comme on dit. Mais soyez-en convaincu : c'est grand, c'est fort, c'est puissant. Winter is coming, comme la dit la devise des Stark. Et plus que jamais.

Des personnages rangés trop vite dans la catégorie des « méchants » nous deviennent fort sympathique dès qu'on voit l'histoire de leur point de vue. Et cela conforte l'idée : Martin a l'ambition d'un grand conteur et embrasse toute la complexité de l'homme.


On en attend d'autant plus la série de HBO au tournant. J'ai appris avec plaisir que les saisons trois et quatre seraient consacrées au tome trois, ce qui devrait permettre de n'éliminer que peu de choses de la matière originale.

samedi 26 novembre 2011

Tous les pièges de la Terre - Clifford D. Simak


Cette nouvelle incursion dans les mondes de l'Imaginaire me donne l'occasion de parler de Clifford D. Simak, mon écrivain préféré de science fiction (avec Ray Bradbury, de manière beaucoup moins originale). Il s'agit de l'un des auteurs majeurs de "l'âge d'or de la science-fiction", qui a vu fleurir dans les années 30 au Etats-Unis de nombreux magazine de popularisation de ce genre. Ceux-ci ont permis la naissance d'une nouvelle génération d'écrivains, parmi lesquels Isaac Asimov est l'exemple plus célèbre et sans doute le plus proche de Simak par le style et les idées. Ce dernier n'est cependant pas seulement un auteur de sa période. En effet il arrive à mêler de manière parfaitement naturelle, des thèmes propres à la science-fiction à la mentalité campagnarde de son Wisconsin natal. C'est probablement ce qui explique le choix de la couverture du numéro 22 de Bifrost qui lui est consacré, où un robot est confortablement installé dans un fauteuil avec des pantoufles. Ses sujets de prédilection sont presque toujours les mêmes : les robots, les extra-terrestre, les voyages dans le temps et l'espace, les capacités psychiques... Le héros "simakien" est généralement un individu tolérant, à travers lequel transparait l'humanisme de l'auteur. Ses livres les plus connus sont "Demain les chiens" et "Au carrefour des étoiles", véritables chefs-d’œuvre auxquels ont pourrait encore rajouter "Dans le torrent des siècles". Mon coup de cœur personnel fut il y a des années "La réserve des lutins", l'une des rares incursions de l'auteur dans la fantasy, où l'on voit notamment le fantôme (amnésique) de Shakespear taper la discute au café du coin (j'ai oublié l'essentiel de l'histoire mais en garde un très bon souvenir). Pas grand chose de plus à dire sur "Tous les pièges de la terre", si ce n'est qu'il s'agit d'un recueil de nouvelles qui ne dépare pas du reste de la production du maître. Cela se lit facilement et avec plaisir, mais ne restera pas dans les annales de la littérature, où même d'un auteur aussi prolifique.

Note : 3/5

vendredi 11 novembre 2011

La Compagnie noire - Glen Cook


J'étais curieux de découvrir ce cycle dont on dit énormément de bien sur les sites consacrés à la littérature fantastique (notamment ArcaneSFantasy) et dans les milieux consacrés. La visite des Halles de Lille, très bel endroit où dénicher des livres d'occasion, m'a permis de satisfaire ma curiosité. Autant le dire dès le début, par rapport à l'attente qu'il avait suscité, ce livre m'a un peu déçu. On m'avait décrit les périples d'une compagnie de mercenaires sans foi ni loi, dont la narration devait dépoussiérer les codes de la fantasy, trop souvent encombrée de stéréotypes (à ce sujet lire l'hilarante chronique sur le blog de Boulet). Force m'est d'avouer que sur ce point, on ne m'avait point menti. Nous avons donc bien à faire avec de la Dark Fantasy (genre que je voulais essayer), où la frontière entre le bien et le mal n'est jamais claire. Par exemple, les membres de la Compagnie noire sont de vulgaires soudards, prêts à tuer, voler et piller, pourvu que cela soit dans leur propre intérêt ou que leur commanditaire le leur demande. Mais en même temps, on ne peut que s'attacher à ces hommes qui suivent leur propre code de l'honneur et forment une famille. C'est l'esprit de caserne. D'un autre coté je vois bien ce qui a plu aux lecteurs de Fantasy : il s'agit d'un récit presque uniquement factuel, dont la "morale" et les préoccupations sont prédestinées à un public masculin. En effet l'absence de considérations psychologiques où poétiques créent une certaine sécheresse, qui correspond d'ailleurs tout à fait à la vision que peut avoir un mercenaire de la guerre. Ici, pour une fois, pas de longues descriptions de paysages bucoliques, mais une succession de batailles et d'évènements, qui ne parviennent cependant pas à donner l'avantage à l'un ou l'autre camps. Les lecteurs, comme le narrateur, n'ont d'ailleurs qu'une connaissance partielle de la situation, ce qui donne parfois l'impression d'une sorte de confusion. Ces choix, comme on le voit, sont tout à fait justifiés, mais créent également un effet de répétition. C'est pourquoi malgré la fluidité du style et l'envie de continuer, j'ai fait une pause d'un mois dans ma lecture à cause d'une certaine lassitude. Quoiqu'il en soit, "La Compagnie noire" est un bon livre, qui mérite d'être découvert, même si je ne pense pas continuer ma lecture avec les tomes suivants.

Note : 3/5

mercredi 9 novembre 2011

Terry Pratchett - Mortimer


Extrait :
- J'OFFRAIS A VOTRE FILS UNE SITUATION, dit la Mort. J’ESPÈRE QUE VOUS N'Y VOYEZ AUCUNE OBJECTION ?
- C'est quoi votre métier, déjà ? demanda Lezek qui s'adressait à un squelette en robe noire sans manifester le moindre semblant de surprise.
- J'INTRODUIS LES ÂMES DANS L'AUTRE MONDE, dit la Mort.
- Ah, fit Lezek, bien sur, excusez-moi, j'aurais dû deviner d'après votre costume. Un travail indispensable, très régulier. Vous exercez depuis longtemps ?
- DEPUIS UN CERTAIN TEMPS, OUI, dit la Mort.
- Bien. Bien. J'avais jamais vraiment pensé à ce métier-là pour mon fils, vous savez, mais c'est un bon travail, très sur. C'est quoi votre nom ?
- LA MORT.
- Papa... s'empressa le garçon.
- J'crois pas connaitre cette maison-là, dit Lezek. Où vous avez pignon, exactement ?
- DES PROFONDEURS INSONDABLES DE LA MER JUSQU'A DES ALTITUDES OU MÊME L'AIGLE NE SE RISQUE PAS, dit la Mort.
- C'est pas mal, approuva Lezek. Eh ben, je...
- Papa », fit le jeune garçon en lui tirant sur le manteau.

Le Disque-Monde est un monde plat, reposant sur le dos de quatre éléphants, eux-même juchés sur la carapace de la gigantesque tortue A'Tuin qui parcourt l'univers. Configuration absurde et improbable, il est vrai, "mais les magiciens, eux, ont calculé que les chances uniques sur un million se réalisent neuf fois sur dix".
Pour ceux qui n'auraient pas la chance de le connaitre, Terry Pratchett est un humoriste britannique, qui s'amuse à parodier différents genres littéraires et en particulier l'heroic-fantasy, avec beaucoup de réussite. Dans "Les Annales du Disques-Monde" il dresse le portrait d'un univers médiéval-fantastique complètement loufoque, sorte d'antithèse de celui de Tolkien. En outre, si les habitués de la fantasy seront les seuls à percevoir certaines références, il n'est pas du tout nécessaire d'être fan de ce genre de littérature pour apprécier ce cycle, pourvu que l'on possède un peu de cette magie communément appelée "humour".
Pour ce quatrième épisode nous abandonnons les aventure de l'incompétent mais néanmoins sympathique magicien Rincevent, afin de nous consacrez au jeune Mortimer, qui se retrouve embauché comme apprenti chez la Mort. Ce dernier (oui, la Mort a beau être une personnification anthropomorphique, il est masculin), semble traverser une période creuse et en profite alors pour s'offrir des vacances... ce qui donne lieu à des situations assez cocasses. Avec "Mortimer" c'est un Terry Pratchett en très grande forme que l'on retrouve et qui va vous faire... mourir de rire.

Note : 4/5

jeudi 27 octobre 2011

Lavondyss 1 : l'antique parage interdit - Robert Holdstock


Accaparé par ma nouvelle vie bruxelloise (d'une capitale européenne, l'autre), je ne trouve plus vraiment le temps - non de lire, mais d'écrire... et de rêver avant d'écrire. Car ici c'est bien de ça qu'il s'agit. Holdstock nous avait abandonné avec La forêt des mythimages à la lisière du fantastique et de la fantasy. Dans cette suite, qui n'en est pas une (je m'explique), c'est vers la première qu'il revient. C'est autour cette fois, de la jeune Tallis Keaton que l'histoire se concentre. Cette adolescente, demi-sœur d'un des personnages du tome précédent, vit à la frontière de la forêt de Rhyope et développe elle aussi des visions. Mais dans son cas, l'expérience va plus loin. Inspirée par de mystérieuses créatures porteuses de masques, elle s'initie peu à peu à une forme de magie millénaire, qu'elle ne comprend pas totalement, faite de rites et de poupées vaudou. L'auteur s'est clairement inspiré du chamanisme et peut être d'autres formes de croyances, pour développer une réflexion complexe sur la religion et la création artistique, où les mots ont une importance cruciale. Si le lecteur avait été perturbé au premier tome, il sera cette fois complètement déboussolé, tant Holdstock s'amuse à ne pas respecter les procédés classiques de la narration. Bien que le récit soit chronologique, bien que l'on s'attache à un personnage en particulier et bien qu'il y ait une cohérence interne dans le déroulement des événements, on en vient parfois à se demander si l'essentiel de ce qui est écrit ne se trouve pas "en dehors" de l'histoire. En d'autres termes s'il s'agit bien d'un roman. Et pourtant, les passages où la protagoniste retourne au village, ancrent ses visions dans la réalité... et constitue peut être encore à brouiller les cartes. Globalement plus confus, ardu et moins abouti que La forêt des mythimages, cette première partie (dans l'édition française) de Lavondyss, mérite tout de même cet effort supplémentaire.

Note : 4/5

vendredi 19 août 2011

Le trône de fer - George R. R. Martin


Je comprends maintenant pourquoi David a lié dans son excellente critique, le bouquin et la série télévisuelle produite par HBO. Tout d'abord cette dernière est de très bonne qualité et c'est par ce biais que j'ai découvert l'univers de Martin. Ensuite, elle fait plus que s'inspirer du livre, reprenant souvent mot pour mot les répliques des personnages. A tel point que celui qui a déjà vu la série, ne sera pratiquement jamais surpris par le livre, si ce n'est qu'il permet de creuser un peu plus certains personnages. Il est vrai que l'auteur a une expérience de scénariste et cela ce sent. Bien qu'il ait déclaré vouloir s'affranchir des contraintes qu'on lui imposait lorsqu'il faisait ce métier (diversité des lieux, des personnages...), la solidité de l'intrigue et l'enchainement des évènements conviennent à merveille à une adaptation, à condition d'avoir de l'ambition et de faire les choses en grand. Même le point de vue focalisé sur un personnage différent à chaque chapitre, me parait correspondre à ce qui se fait dans les séries aujourd'hui, où le téléspectateur a loisir de s'enticher de l'un ou de l'autre selon son caractère. La complexité de l'univers et le nombre des personnages, qui lui sont (parait-il ?) souvent reprochés ne m'ont pas du tout gênés. Au contraire, mis au service de l'histoire, ils lui donnent de la crédibilité. Il faut dire que pour avoir dévoré le Seigneur des Anneaux à dix ans et avoir eu longtemps le Silmarillion comme livre de chevet, je ne suis peut être pas la personne la plus dérangée par cet aspect... Un autre point commun avec le grand maître Tolkien, et qui est lié avec le précédent, est l'usage parcimonieux de la magie. On a beau avoir un monde fantastique, il n'y a pas un magicien à chaque coin de rue qui lance des boules de feu. Le registre est beaucoup plus proche de celui du "merveilleux", c'est à dire du fantastique qui fait partie de l'ordre des choses. Au Moyen-Âge une licorne n'est pas considérée comme un animal magique, juste une espèce extrêmement rare aux propriétés... merveilleuses (tout comme le loup-garou dans le Trône de fer). D'ailleurs le récit prend part à un moment où nombre de ces choses hors du commun ont disparu depuis belle lurette et vont peu à peu refaire surface, pour le plus grand malheur des personnages. Je ne vais pas proposer de résumé, comme l'a déjà très bien fait mon co-rédacteur (moribond depuis quelques temps), mais je vous invite chaudement à vous embarquer avec George R. R. Martin dans cette aventure. Cependant couvrez-vous. L'hiver vient.

Note : 4/5

jeudi 28 juillet 2011

Antigone - Henry Bauchau


Une belle lecture et une déception. Un livre enrichissant grâce à la maturité de l'écriture d'Henry Bauchau, arrivé au crépuscule de sa vie. Au delà des figures de style et de la virtuosité, les mots sont dépouillés de ces oripeaux pour dire l'essentiel. Ce qui est le sens même de la tragédie grecque. Suite d’Œdipe sur la route qui narrait la longue errance du roi de Thèbes et de sa fille sur les chemins de la Grèce, cette fois c'est le retour d'Antigone dans sa ville natale, pour mettre fin à la guerre à laquelle se livrent ses deux frères, qui nous est raconté. Bien que les deux œuvres possèdent indéniablement les mêmes qualités, Antigone n'atteint pas la profondeur et la justesse de ton de son ainé. Pour cela il faudrait le morceau de bravoure qu'est la sculpture d'une immense vague par Œdipe, ou les moments de grâce comme le mythe de la princesse qui emmenait son peuple se réfugier dans les cavernes. Il y a même certains moments de faiblesse, comme le dernier passage, interminable. Tout comme Antigone, cela nous manque de ne plus voir le dos de l'illustre aveugle avancer le long de la route. Mais il est injuste de juger cet écrit par rapport à un autre. En comparaison d'un chef d’œuvre, tout les livres sont décevants. Et Henry Bauchau a réussi à renouveler le miracle.

Extrait :
"C'est beau, Antigone. C'est elle et ce sont eux. C'est la beauté de notre mère, non pas comme elle était mais dans leurs regards. Etéocle qui sait qu'il est fasciné, presque aveuglé, et Polynice qui l'est aussi mais qui, enfermé dans sa gloire, l'ignore.
C'est aussi tellement toi, Antigone, cette confiance intarissable dans l'action de la vérité, dont on ne sait si elle est magnifique ou seulement idiote. Crois-tu qu'on peut sans délirer, espérer comme tu fais ? Est-ce que tu penses que les jumeaux te comprendront et que même s'ils te comprennent, cela les fera sortir de leur passions ? J'ai peur de l'esprit d'incendie que je vois dans notre famille. Moi aussi, souvent, je suis folle. Je voulais te dire : Pars, pars vite avec Hémon et je me suis rétractée. Je me rétracte encore en te disant : Ne pars pas, ne m'abandonne pas à Thèbes pour la deuxième fois. Va à la catastrophe avec nous, puisque c'est ce que veut ton courage.
Tes sculptures sont une œuvre d'amour. Elle touchera, elle blessera les jumeaux, elle ne les arrêtera pas. La destruction les fascine comme elle a fasciné un jour notre mère. Est-ce qu'aujourd'hui elle ne te fascine pas, toi aussi ?"
Note : 4/5

vendredi 22 juillet 2011

A la volée - John Crosby


J'ai fini il y a quelque jours un 10/18 que mon ami Duke m'avait offert, soucieux de mon enrichissement culturel. Pourquoi employer le nom de cette édition comme un nom propre ? Parce qu'ils se sont spécialisé avec leur collection "Grands détectives", dans la publication de romans policiers de qualité standard, dont les intrigues se déroulent aux époques les plus diverses, de la chine impériale au Moyen-Age européen. Profitons-en pour conseiller aux passionnés de la Rome antique la lecture de Steven Saylor, dont "Les Mystères de Rome" sont à la fois très instructifs sans pour autant être rébarbatifs. Cette fois-ci, c'est durant la guerre froide que se déroule l'histoire. C'est d'ailleurs l'une des bases de l'intrigue, puisque le personnage principal, Horatio Cassidy, est professeur de littérature médiévale (ah bon ?) et travaille comme vacataire à la CIA. Les ennuis commencent très vite, puisque lors d'une soi-disant opération de test de matériel, il aperçoit son ami d'enfance perdu de vue depuis des années, se faire tirer dessus à la mitrailleuse par des inconnus avant de réussir à s'enfuir. Lancé à sa poursuite dans New York, notre héros met le doit dans l'engrenage d'une vaste affaire d'espionnage impliquant le KGB et le détournement de satellites. Les péripéties évoquent le bon vieux roman d'espionnage (il y a même un sous-marin !) parsemé de rebondissements (bong ! bong !), de personnages truculents (mention spéciale au prêtre activiste) et de bons mots hollywoodiens. Le style remplit d'argot et d'expression idiomatiques paraît difficilement traduisible, même si c'est celui d'un écrivain qui a adopté une "méthode" et ne cherche pas à réinventer l'eau chaude. En effet ce livre est typiquement un roman de vacances qui fait passer le temps et je vous conseille de le lire en voyage, comme je l'ai fait.

Note : 3/5

dimanche 10 juillet 2011

L'anthropologie - Marc Augé, Jean-Paul Colleyn


Pour ceux qui auraient appris à lire la semaine dernière (la durée de vie de cette collection est plus longue que celle que l'on saurait passer dans une grotte), les "Que sais-je ?" ont pour ambition de présenter au grand public un résumé concis et synthétique, sur une question qui peut n'en être pas moins large. Le pari est il réussi pour l'anthropologie ? Plus ou moins. Marc Augé et Jean-Paul Colleyn sont tout les deux chercheurs à la prestigieuse École des hautes études en sciences sociales et le premier serait une référence en la matière, du moins selon les dires d'une étudiante romaine. L'ouvrage est organisé en différents chapitres dont au moins la moitié concerne la méthodologie ("Le terrain", "La lecture", "L'écriture"). Le plus important est cependant "Les objets de l'anthropologie" qui prend 56 pages sur les 128 que comportent le livre et est subdivisé en sous-chapitre sur la parenté, l'économie et l'environnement, l'anthropologie de la religion, celle du politique etc. De nombreuses théories de l'anthropologie sont évoquées (le fonctionnalisme, le structuralisme...) ainsi que les principaux débats (opposition en particularisme et universalisme), sans qu'aucune de ces questions ne soit vraiment creusée. Si le sujet est traité avec exhaustivité et si l'on ne peut nier l'immense culture des auteurs sur le sujet, cela n'empêche pas le lecteur de développer un sentiment de frustration devant ces aspects traités si rapidement. Sentiment de frustration qui, au moins m'a donné envie de chercher d'autres lectures sur le sujet...

Note : 3/5

dimanche 19 juin 2011

La forêt des mythimages - Robert Holdstock


"La forêt des mythimages", parfois traduit sous le nom plus proche du titre original "La forêt des Mythagos", est le premier tome d'un cycle éponyme délivré par l'auteur britannique Robert Holdstock, qui m'était jusqu'alors totalement inconnu. Ce livre, trouvé dans ma bouquinerie habituelle à l'occasion d'un séjour en France, m'intriguait avant même que je le commence. L'histoire est celle d'un bois impénétrable, à la lisière duquel le personnage principal a passé son enfance avec sa famille, tandis que son père s'abimait dans l'étude obsessionnelle des événements surnaturels qui semblent s'y dérouler. Le récit commence plus ou moins lorsque peu après la mort de son père, Steven revient dans la demeure familiale après avoir passé la seconde guerre mondiale et sa convalescence en France. Il y retrouve son frère Christian visiblement perturbé, qui a repris les travaux de leur père et s'enfonce de plus en plus profondément dans la forêt. Petit à petit il va apercevoir à son tour d'étranges personnages, issues de légendes anciennes et parfois oubliées, rôder à l'orée des bois...
La grande force de ce roman est de proposer un univers fantastique unique et personnel, à la manière de "L’histoire sans fin" de Michael Ende, ou même de Tolkien avant qu'il ne devienne la référence, très loin des clichés habituels du genre. Ce n'est pas un "livre de fantasy" comme les best-sellers de Robin Hobb ou Terry Goodkind qui fournissent au lecteur ce qu'il s'attend à trouver (ce qui explique en partie leur succès). Non, cette fois la frontière entre la réalité et le fantastique est méconnue, trouble et selon une configuration qui n'est pas connue à l'avance grâce à la lecture d'autres ouvrages similaires. Il y a cependant une sorte de basculement à la moitié du récit. Pour ces raisons il peut y avoir un grand plaisir de découverte ou une déception, selon ce que vous attendez d'un livre. Pour ma part ce fut un véritable coup de cœur, terme galvaudé à force d'être utilisé. Le style classique et détaillé, bon sans être exceptionnel, ne se prête pas à de courts extraits que je ne présenterai donc pas.

Note : 5/5

samedi 11 juin 2011

A Game of Thrones, Book one of A Song of Ice and Fire, George R. R. Martin



Connue en français sous le nom de Trône de fer, la série de George R. R. Martin a rassemblé de nombreux lecteurs depuis la parution du premier tome en 1996. Cette œuvre culte a donné lieu à de nombreux avatars : jeux de plateau, jeux de cartes, jeux de rôle, et plus récemment, série télévisée (et bientôt, jeux vidéos). C'est par ce biais que je me suis mis à lire George R. R. Martin. La série, produite par HBO, m'a attiré dès que j'en ai entendu parler. Déjà, parce que c'est une série d'HBO (The Sopranos, The Wire, Six Feet Under, les mini-séries Band of Brothers et The Pacific, plus récemment Boardwalk Empire...bref, les meilleures séries sont chez eux !) ensuite, parce que j'aime la fantasy, et que Sean Bean dans un casting de fantasy, c'est alléchant. J'ai été conquis dès le premier épisode, j'ai acheté le bouquin au troisième épisode et maintenant je l'ai fini avant même la fin de la série.

Un petit mot du projet : A Song of Ice and Fire, les ambitions épiques sont présentes dès ce titre alléchant. Et cette grande fresque médiévale-fantastique a tout d'une grande épopée. Un royaume de type féodal, partagé en sept royaumes, momentanément unis sous un seul roi, Robert Baratheon, mais plus pour longtemps ; le « game of thrones » est sur le point de commencer, et entre intrigues politiques et grandes batailles, le Royaume va être déchiré par le fer et noyé dans le sang. Ajoutez à cela des saisons particulières : l'été peut durer plusieurs années, l'hiver plusieurs décennies, avec des durées variables (on ne sait jamais combien de temps une saison peut durer). Et bien sûr, puisque le roman s'ouvre sur un moment de crise, un été de près de dix ans est sur le point de s'achever, pour laisser place à un terrible hiver. Et en hiver, il ne fait pas seulement froid : au Nord du Mur – construit huit mille ans auparavant pour protéger le royaume des « Sauvages » qui vivent au-delà, et d'un certain nombre de créatures plus ou moins fantastiques – lesdites créatures ont tendance à se manifester. Le fantastique, rejeté en-dehors du royaume des hommes, le menace. C'est ce qui fait le charme de la fantasy à la sauce Martin (prononcez à l'anglaise pour éviter d'évoquer une cuisine française de bas-étage) : un univers très féodal, fort semblable à l'Europe médiévale, avec un fantastique diffus, concentré dans les histoires pour enfants, les légendes de l'ancien temps. Il y avait des dragons, mais ils ont disparu, n'en restent que les crânes géants dans une des salles souterraines du château royal ; on parle de « white walkers », sorte de légende urbaine pour effrayer les enfants, et que l'on retrouve dans les injures « the Others take you ». Pourtant, sur le Mur, on va commencer à y croire, à ces légendes...

La narration fonctionne très bien, dans l'alternance des points de vue. Chaque chapitre porte un nom de personnage (principalement ceux de la famille Stark, seigneurs du Nord et « héros » du roman) ce qui permet d'offrir différents éclairages sur les situations et de suivre des évènements qui se déroulent à des endroits très différents : on suit par exemple la princesse en exil Daenerys, très en marge de l'histoire principale des Sept Royaumes qu'elle n'a jamais vue – mais verra peut-être. On suit le jeune Jon Snow, un bâtard de la famille Stark, qui s'engage auprès des gardes du Mur, la « Night Watch » (engagement à vie, sur serment) ce qui permet d'évoquer directement la menace du Nord et de l'hiver approchant. On suit plusieurs autres membres de la famille Stark : Eddard, le chef de famille, Catelyn, sa femme, leur fils Bran, leurs filles Sansa et Arya. Mais on suit aussi Tyrion, un nain (non au sens de la race fantastique, mais bien au sens où on l'entend couramment : un homme qui a eu la malchance de naitre petit) membre de la famille ennemie des Stark, les Lannister. Au bout du compte, même si on se prend à chérir les Stark, procédés narratifs obligent, difficile de distinguer bons et méchants comme trop souvent dans ce genre littéraire. Chez Martin, la politique est plutôt comme chez Machiavel, des choix sont faits, certains respectent une morale, un honneur, d'autres moins. En cela, c'est bien un livre intelligent, qui explore la complexité du monde et de l'homme.

D'autre part, la multiplicité des points de vue, les différents lieux où se déroule l'action, permettent de rencontrer les personnages secondaires sous divers angles, et de retrouver des membres de ces grandes familles féodales un peu partout. Je ne peux que saluer l'incroyable travail accompli sur cet aspect féodal : les grandes familles, leurs féaux, toutes les familles nobles ayant leur propre héraldique. On s'y perd presque, avec tous les mariages, les alliances, etc. C'est d'ailleurs le reproche que font certains à l'œuvre de Martin : il voit trop grand, trop large, trop complexe, on finit par perdre un peu le fil d'un action qui ne se déroule pas assez vite. Vous l'aurez compris, je ne suis pas de ces détracteurs, mais bien un grand admirateur de cet ouvrage qui accumule les qualités littéraires et les canons de la Fantasy traditionnelle, sans jamais tomber dans les clichés simplistes. Je n'avais pas vibré comme cela depuis longtemps à la lecture d'une histoire.

Un petit mot, enfin, de cette adaptation en série : c'est à voir, pour les lecteurs de Martin comme pour ceux qui veulent juste se faire plaisir avec de la bonne Fantasy au cinéma ; car c'est bien du cinéma. Loin de l'échec navrant de l'adaptation de L'épée de vérité il y a peu, HBO frappe fort et juste. Mention spéciale à Peter Dinklage, qui incarne Tyrion Lannister, ou encore à Aidan Gillen, le Tommy Carcetti de The Wire, qui ici aussi fait de la politique, donnant ses traits au personnage de " Littlefinger " ; mais tous les acteurs sont bons, et le résultat fonctionne. On déplore même assez peu d'écarts par rapport au récit original. Bref, je suis conquis.

lundi 6 juin 2011

Dodici racconti - Dino Buzzati


Si le titre de cet article est en italien, ce n'est pas par hasard, car il s'agit en effet du premier livre que j'ai réussi à finir, dans sa langue originale autre que le français. Pour cela j'ai tout de même choisi une édition bilingue, où sont juxtaposés, sur la page de gauche, le texte en italien, et sur celle de droite, sa traduction en français. Je conseille à tout ceux qui se sont déjà découragés comme moi, sur des livres aussi facile que Harry Potter, d'essayer cette solution, qui permet aux perfectionnistes de saisir tout le texte sans avoir à chercher sans arrêt dans le dictionnaire. En plus de fournir la traduction, les éditions Pocket insèrent à chaque page une série de notes, qui permettent d'expliquer l'emploi de tel ou tel terme, comme par exemple la présence d'un subjonctif ou une expression idiomatique. Dino Buzzati, l'un des auteurs les plus renommés de la littérature italienne, utilisateur d'un style facilement abordable et spécialiste de la nouvelle courte, semblait prédestiné à ce genre d'exercice. Les nouvelles choisies, proches du fantastique et souvent ironiques, sont d'ailleurs très représentatives de cet écrivain. Elles ont été probablement piochées dans différents ouvrages, car les deux dernière ("L'ubiquiste" et "L'oeuf"), font partie de son imposant recueil "Le K" que je conseille à tous. Au final très bonne expérience que de lire une œuvre étrangère "dans le texte", que je compte d'ailleurs reproduire.

Pas de note parce qu'il ne s'agit pas d'un ensemble organisé par l'auteur et parce que j'ai la flemme.

jeudi 2 juin 2011

Race et Histoire - Claude Levi-Strauss


Voici un livre que j'ai commencé il y a plusieurs mois, bien avant que David n'en fasse la critique, et qui fait partie de ceux que je n'avais pas pu emporter en Italie (mais y a-t-il si peu de classiques pour nous ne puissions lire des livres différents ?) De retour en France pour une semaine, je m'y suis donc consacré de nouveau dès la première page, avec pour bagage ma formation en Histoire de l'art et archéologie.
Tout d'abord ce qui frappe est l'incroyable clarté de son discours et l'utilisation appropriée de la raison. Rares sont les auteurs de son époque qui n'énoncent pas quelques théories dépassées, et dont la faiblesse du raisonnement nous paraît aujourd'hui évidente. Pour s'en convaincre il suffit de feuilleter d'anciennes éditions des "Que-sais je ?", ou plus généralement de nombreux ouvrages en sciences humaines. Levi-Strauss n'en fait pas partie. Au contraire il sait prendre "la raison par le bon bout" (selon l'expression de Gaston Leroux) pour balayer de fausses évidences, sans tomber dans le piège suivant de la pensée. L'auteur fait preuve d'une extraordinaire lucidité et son ouvrage est tellement structuré, que ce serait presque un plaisir d'en faire une note de synthèse. Le mot qui vient à l'esprit est celui de génie. Pas le génie créatif d'un Rimbaud, mais celui qui sait aller plus loin que l'homme du commun dans la compréhension de ce qui est faux, et de ce qui ne l'est pas. Par ailleurs, mais ce n'est peut être qu'une conséquence de ce qui est dit plus haut, la langue est facile. Nul doute qu'une partie de son succès vient de sa capacité à se faire comprendre, sur des sujets complexes. "Ce qui ce conçoit bien s’énonce clairement" pour citer Boileau.
Que dit-il ? Le principal de son discours tend à réévaluer les cultures non occidentales, sans pour autant tomber dans la facilité. S'il n'y a pas des différences biologiques fondamentales entre les différentes groupes humains, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de différences sociologiques. Cela veut il dire que certaines sociétés sont plus "évoluées" que les autres ? Non, car la nature de leur évolution (pas forcément technique) n'est pas toujours perceptible par une autre culture, à cause justement de leurs différences. La théorie selon laquelle les sociétés dites "primitives" ne serait qu'à une étape de l'évolution déjà effectuée en Europe ne résiste pas à l'analyse, car ces dernières sont souvent très différentes des société européennes précédentes, avec lesquelles on a pourtant tenté d'établir un amalgame. Argument supplémentaire, le "progrès" d'une société se fait d'autant plus qu'elle est en contact avec une autre société différente. Ce progrès ne vient donc pas cette culture elle-même mais de la "collaboration" créée entre des groupes différents de population (y compris dans la même culture). Il y a par ailleurs de très intéressantes pages sur l'archéologie.

Extrait 1 :
Cela signifie deux choses : d'abord que le "progrès" [...] n'est ni nécessaire, ni continu ; il procède par sauts, par bonds, ou, comme diraient les biologistes, par mutations. Ces sauts et ces bonds ne consistent pas à aller toujours plus loin dans la même direction ; ils s'accompagnent de changements d'orientation, un peu à la manière du cavalier des échecs qui a toujours à sa disposition plusieurs progressions mais jamais dans le même sens.

Extrait 2 :
Nous considérons ainsi comme cumulative toute culture qui se développerait dans un sens analogue au nôtre, c'est-à-dire dont le développement serait doté pour nous de signification. Tandis que les autres cultures nous apparaîtraient comme stationnaires, non pas nécessairement parce qu'elles le sont, mais parce que leur ligne de développement ne signifie rien pour nous, n'est pas mesurable dans les termes du système de référence que nous utilisons.
Note : 5/5

mardi 24 mai 2011

Lettres à un jeune poète, Rainer Maria Rilke


Puisque je parle de leçons de vie, un autre bouquin lu le mois dernier, et des plus dignes de figurer ici – à moins que ce soit moi qui soit indigne d'écrire quelque chose à son propos. Rilke est assurément un grand poète, et mon seul regret et de ne pas connaître la langue allemande (enfin, j'ai beaucoup d'autres regrets, mais c'est tout de même plus classe de formuler les choses comme ça, non ?) pour pouvoir profiter pleinement des richesses d'un tel artiste.

Dans ces lettres, Rilke donne des leçons de vie autant que des leçons de poésie – mais comment envisager la poésie sans le mode de vie poétique que toute grande poésie suppose ? Je ne saurais dire si c'est un tel mode de vie qui conduit à sécréter la poésie, ou si l'attirance poétique et la création de l'artiste le conduisent à vivre sa vie selon leur mesure ; ils s'influencent l'un-l'autre, probablement.

Ce livre est à compter au nombre de ceux qui changent mon regard sur le monde, sur les hommes – sur la poésie. Il n'en reste pas moins que, après quelques semaines – seulement ? – ma vie est sensiblement la même. Que faire si ce n'est constater que je ne suis pas poète, n'ayant pas la force (l'envie ? La volonté ? …) de me faire poète et de vivre ma vie selon les exigences que cela entraine. On lit des grands livres de grands hommes, on s'émeut, on s'émerveille...mais un jour, il faut bien l'admettre : je vis ma vie médiocrement au milieu de milliards d'autres hommes dont seulement quelques uns ont la force (l'envie ? La volonté ? …) de transformer leur existence.

Reste l'admiration, et la beauté rencontrée au détour d'une page.


Extrait 1

« Permettez-moi de formuler ici tout de suite cette prière : autant que possible, lisez peu de réflexions d'ordre esthétique et critique – ou bien ce sont des vues partisanes, figées et désormais dépourvues de sens dans leur pétrification sans vie, ou bien ce sont d'habiles jeux de mots où telle conception l'emporte aujourd'hui et la vision contraire le lendemain. La solitude qui enveloppe les œuvres d'art est infinie, et il n'est rien qui permette de moins les atteindre que la critique. Seul l'amour peut les appréhender, les saisir et faire preuve de justesse à leur endroit. »


Extrait 2

« Dans une seule idée d'un créateur vivent mille nuits d'amour oubliées qui la comblent de majesté et de grandeur. Et ceux qui la nuit s'unissent et s'enlacent dans le plaisir qui les berce font œuvre sérieuse et rassemblent des douceurs, de la profondeur et de la force pour le chant de quelque poète à venir qui se lèvera pour dire d'ineffables délices. »

Race et histoire, Claude Lévi-Strauss


Connaissez-vous Claude Lévi-Strauss ? Entendu parler, peut-être. Un ethnologue de renom, il a écrit quelques ouvrages majeurs... Voilà à peu près tout ce que j'en savais jusqu'à présent. Je me suis finalement décidé à ouvrir Race et histoire, un opuscule rédigé à l'occasion d'une série de publications de l'UNESCO en 1952 sur le thème du racisme.

Comment qualifier l'ouvrage ? « Enrichissant » ; l'expression est pauvre. Disons que Claude Lévi-Strauss remet les pendules à l'heure. Sur la question des « races », peut-on penser, c'est inutile aujourd'hui ; mais l'essai va bien plus loin. Il dégage les présupposés de l'ethnocentrisme, et de toutes les idées incrustées en nous, consciemment ou inconsciemment, depuis que nous allons à l'école. Il remet en cause les idées de « culture » et de « civilisation » telles que nous les pensons. D'une part, la prise de conscience est grande (« mais c'est vraiment comme ça que je pense ? Quel salaud je fais... ») et encourage à repenser son rapport aux autres en général, à la différence à laquelle nous sommes confrontés au quotidien. C'est donc une belle leçon que nous offre là Claude-Lévi Strauss, et dans un langage clair et précis. Rien de délirant ou d'incompréhensible. Et même, à l'occasion, la langue se fait presque poétique, apporte une beauté fugace.

Il me semble que le plus simple est de vous laisser lire quelques mots de l'auteur.


Extrait 1

« " peuples sans histoire " (…) Cette formule elliptique signifie seulement que leur histoire est et restera inconnue, mais non qu'elle n'existe pas. Pendant des dizaines et même des centaines de millénaires, là-bas aussi, il y a eu des hommes qui ont aimé, haï, souffert, inventé, combattu. En vérité, il n'existe pas de peuples enfants ; tous sont adultes, même ceux qui n'ont pas tenu le journal de leur enfance et de leur adolescence. »


Extrait 2

« On lit dans des traités d'ethnologie – et non des moindres – que l'homme doit la connaissance du feu au hasard de la foudre où d'un incendie de brousse ; que la trouvaille d'un gibier accidentellement rôti dans ces conditions lui a révélé la cuisson des aliments ; que l'invention de la poterie résulte de l'oubli d'une boulette d'argile au voisinage d'un foyer. On dirait que l'homme aurait d'abord vécu dans une sorte d'âge d'or technologique, où les inventions se cueillaient avec la même facilité que les fruits et les fleurs. À l'homme moderne seraient réservées les fatigues du labeur et les illuminations du génie. »

jeudi 19 mai 2011

Le monde selon Fo




Il est certains hommes devant lesquels on ne peut que s'incliner, et reconnaître qu'ils sont de grands hommes. Je crois que Dario Fo est de ceux-là. Ce n'est pas un génie. Ce serait plutôt un fou – et je pense que c'est, de son point de vue même, le meilleur compliment qu'on puisse lui faire. Un fou comme on en trouve chez Shakespeare, de ceux qui vous assène des vérités entre deux pirouettes et trois blagues. Un fou – fou-furieux, parfois ; fou-fou, bien souvent. Un gamin de Lombardie qui a 85 ans aujourd'hui. Et qui s'agite toujours avec la même activité frénétique. C'est l'homme de théâtre complet, qui écrit et qui joue, et s'engage toujours en première ligne. Contre Berlusconi, contre ce ramassis de mauviettes sans foi ni loi qui gouverne l'Italie depuis des années. Pour la liberté, pour et par le rire, toujours.

Je pourrais continuer à la présenter ainsi pendant des lignes et des lignes. Je déborde d'admiration pour lui. Ce livre a été l'occasion de se rapprocher un peu plus du bonhomme. J'ai lu plusieurs de ses pièces, joué certaines. C'est la lecture du Manuale minimo dell'attore qui m'a vraiment rapproché de lui : un compte-rendu de six journées de conférences données par l'artiste, qui prenaient bien souvent la forme de petits spectacles. Car Dario Fo n'est pas un théoricien, et jouer est généralement le meilleur moyen d'illustrer un propos qui n'est jamais in abstracto. Une conférence de Fo, on est sûr de bien s'y fendre la poire. Et même lorsqu'on a eu la bonne idée de lui remettre le prix Nobel en 1997, il a fait rire toute l'audience. Le rire, arme absolue qui « délivre de la peur ». Le rire pour ne pas mourir, et pour combattre, toujours. Être sérieux, c'est être mort. Et encore, je vois bien l'Italien rire encore pour son dernier voyage...

Dans ce compte-rendu de Giuseppina Manin, Dario Fo raconte et se raconte. Son enfance, ses débuts au théâtre, au cinéma, à la radio ; ses galères avec la censure et les grincheux en tous genres ; et puis Franca Rame, cette femme qui semble l'accompagner depuis toujours, dans la vie comme sur la scène. Leçon de théâtre bien sûr, mais leçon de vie aussi, et leçon de vie intégrale d'un homme entièrement dévoué à la vie, au sens le plus plein qu'on puisse penser.


Extrait :

« On ne peut pas faire du théâtre sous le contrôle d'un parti politique. Pour nous, il n'en était pas question une seconde. Que le PCI nous approuve ou pas ne nous troublait pas, notre interlocuteur était ailleurs : c'était les gens. »

[la journaliste] Des gens qui, dans ce théâtre très spécial, modelé à votre image et ressemblance, retrouvaient un espace de liberté inédit, d'information et de dénonciation. En ouvrant des vannes inattendues, en laissant jaillir des idées et des sentiments enfouis Dieu sait où...

« Des propos qui, la journée, semblaient inadmissibles, inopportuns, « révisionnistes », le soir après le spectacle, après la cure cathartique du rire, bouillonnaient soudain dans toute leur crue et nue vérité. La question des morts au travail, des maladies professionnelles, de l'état réel de la prévention dans les usines... »

Now Wait for Last Year

Je fais mine, avec ce titre, de commenter un autre ouvrage ; mais non, c'est bien le même. J'ai lu les aventures d'Éric Sweetscent juste avant notre ami Bob, et prend finalement le temps d'écrire un petit billet, non pas tant pour faire concurrence que pour offrir des mots complémentaires des siens. J'aimerais dire un autre point de vue, mais en réalité il est sensiblement le même : j'ai moi aussi bien apprécié ce délire temporel.

J'avais besoin de lire un roman pour m'amuser, retrouver cette littérature de SF trop longtemps négligée. Alors je l'ai avalé en deux jours, j'ai à peine mâché, j'ai englouti tout cela. Et l'effet n'était que plus fort, j'ai vraiment eu la sensation de déraper. Je lisais notamment le livre dans le train, et croyez-moi, au bout de deux heures de Dick dans un train, on ne sait plus trop où on est. Man, you're so messing with my head. C'était presque comme prendre du JJ-180, mais l'effet était plus léger, plus flou. J'étais juste perdu. C'était à la limite du désagréable, mais j'ai somme toute vraiment apprécié l'expérience.

Ce romancier est fou, je le savais, j'en suis persuadé maintenant. Son roman donne l'impression de partir dans tous les sens, et en même temps reste très cohérent (qualité essentielle en science-fiction s'il en est) et retombe finalement sur ses pieds. La relation du personnage principal à sa femme est un nœud essentiel de l'intrigue, moteur de l'activité même du docteur (la raison de son engagement auprès de Molinari, le dictateur ; la cause de son expérience du JJ-180, etc). C'est l'occasion d'oublier les délires temporels pour s'adonner à un peu de psycho-sociologie autour de ce couple auto-destructeur.

Un peu comme Will Smith qui est ravi de mettre des Converses au début de I-Robot – film adapté d'un roman d'Isaac Asimov, dont il faudra d'ailleurs parler un jour – il y a dans En attendant l'année dernière une fascination pour les époques passées – dont notre présent – celui de l'auteur veux-je dire – fait partie. C'est un thème récurrent en SF. Ici, cette nostalgie s'exprime par la reconstitution minutieuse du Washington des années 30 commandée son patron Virgil Ackerman – précisons pour l'anecdote qu'il est PDG des Fourrures et Teintures de Tijuana, entreprise dont le nom ne laisse pas soupçonner la puissance pourtant bien réelle. Wash-35, comme on l'appelle, est installée sur la Lune, et la Kathy Sweetscent, la femme de notre héros, est d'ailleurs celle qui s'occupe de trouver et d'acheter des objets d'époque pour leur patron.

En somme, ce roman de Philip K. Dick se lit presque d'une traite. Bien complexe sans dépasser son lecteur – enfin, cela doit dépendre du lecteur – c'est assurément un roman de SF à recommander, même s'il n'est pas révolutionnaire.

mercredi 11 mai 2011

En attendant l'année dernière - Philip K. Dick


Philip K. Dick est un écrivain majeur de la science-fiction américaine... et par conséquent relativement méconnu du "grand public". Pour s'en convaincre il suffit de regarder le nombre de scénarios de films inspirés d'un de ses bouquins : Blade-Runner, Total Recall, Minority Report... Au delà de ça, son univers noir et la puissance de sa réflexion ont profondément influencé la science-fiction. On est dickien ou on ne l'est pas.
Pour l'histoire, Eric Sweetscent, chirurgien spécialiste de la "grefforg", se retrouve  détaché au service de Gino Molinari, secrétaire des Nations Unies. Ce  dernier, bien que génie politique, a entrainé la Terre dans une guerre galactique au coté du mauvais allié. Pour ne rien arranger, il semble avoir développé toutes les pathologies mortelles existantes... et par miracle s'en être toujours sorti. Et ce n'est pas le seul souci d'Eric, englué dans une relation auto-destructrice avec sa femme. C'est à ce moment là qu'il découvre l'existence du JJ-180, une drogue qui permet de voyager dans le temps.
"En attendant l'année dernière" est un livre que j'ai lu pour la première fois il y a peut-être une dizaine d'années, mais je remercie David de m'avoir donné l'occasion de le redécouvrir. Cela tombe bien, les voyages temporels sont l'un des thèmes principaux de l'histoire. Comme d'habitude l'auteur, un peu a la manière de Dali, s'est nourri de ses propres angoisses pour écrire ce roman. Presque tout les personnages sont atteints de maladies mentales que lui-même possédait : paranoïa, hypocondrie, tendances auto-destructrices etc. La drogue est un autre thème important, avec le JJ-180. Enfin le voyage dans le temps permet à l'écrivain de perdre le lecteur. Pour résumer ce roman est un bon "K. Dick", avec tout les éléments récurrents de cet auteur agencés dans une aventure très bien menée.

Extrait :
Gino Molinari, chef suprême de la Terre en guerre contre les reegs, portait comme à l'accoutumée un uniforme kaki orné d'une seule décoration, la Croix d'or de Première Classe que lui avait décernée l'Assemblée  Général des Nations Unies quinze ans auparavant. Il avait besoin  d'un sérieux coup de rasoir : son menton était recouvert d'une pilosité noire et drue, envahissante. Ses lacets, comme sa braguette, étaient défaits.
Note : 4/5

vendredi 29 avril 2011

Six personnages en quête d'auteur suivi de La volupté de l'honneur - Pirandello

Une personne qui m'est chère m'a conseillé il y a longtemps de lire Pirandello. Comme j'ai toute confiance dans son jugement, j'ai fini par le faire. Pourtant, pour des raisons extérieures la lecture a été plutôt décousue. Je n'ai plus trop l'occasion  de lire en ce moment et encore moins de réfléchir à ce que je lis. Malgré tout je vais essayer de ratraper mon retard :


Le bouquin était composé de deux pièces qui n'ont pas grand chose à voir. La première est de loin la plus connue, puisqu'il s'agit de "Six personnages en quête d'auteur", qui pour certains n'a  fait rien de moins que révolutionner le théâtre. Comme le titre l'indique, les personnages en question sont à la recherche d'un auteur pour écrire le drame dont ils font partie. Tout est là : intrigue, scènes, répliques... Il ne manque qu'une bonne volonté pour tout mettre en ordre, ce que va se charger de faire le directeur d'un théâtre dont ils viennent perturber la répétition. Pour l'aider les personnages vont "rejouer" les scènes devant lui, qu'il se contentera alors de transcrire. Oui mais voilà, les personnages, contrairement au acteurs, ne font pas du théâtre. Ils ne font pas non plus semblant d'avoir des sentiments. Ils vivent réellement les situations et quand un comédien se charge de répéter la scène, cela produit un effet tout à fait différent... Mine de rien avec cette pièce, Pirandello interroge le théâtre en profondeur. Elle vaut la peine d'être lue, mais c'est sur scène qu'elle doit donner pleinement son potentiel. Comment un comédien peut il jouer un personnage, qui se défend d'être un comédien ? Et un comédien, jouer un comédien qui joue un personnage ? Et le metteur en scène dans tout ça ? Et l'écrivain ?

Extrait de "Six personnages en quête d'auteur" :

LE PERE
Je comprends très bien, monsieur. Mais je devine peut-être aussi pourquoi notre auteur, qui nous voyait vivants et tels que nous sommes, n'a pas voulu écrire son drame. Je ne voulais pas offenser vos artistes, Dieu m'en garde ! Mais je pense qu'en me voyant maintenant représenté... par je ne sais qui...

LE GRAND PREMIER RÔLE, avec hauteur
Par moi, si cela ne vous fait rien.

LE PERE, humble mieilleux, saluant.
Très honoré, monsieur... Oui, voici, je pense que quelle que soit la bonne volonté et l'art total qu'apportera monsieur à m'accueillir en lui...

LE GRAND PREMIER RÔLE
Total, qu'est-ce à dire, retirez ! retirez !

LE PERE
La représentation qu'il donnera de moi, même en s'afforçant par son grimage de me ressembler...

LE GRAND PREMIER RÔLE
Ce sera assez difficile !

Les acteurs rient.

LE PERE
Précisément, il sera difficile que vous donniez de moi une représentation qui me montre tel que je suis. Il s'agit moins du visage que de la façon dont vous interpréterez mes manières d'être, la façon dont vous me sentirez, et qui ne sera pas du tout la façon dont je me sens moi-même. Et il me semble que les gens qui sont appelés à nous juger devraient tenir compte de cela...

La pièce suivante, "La volupté de l'honneur", parait en comparaison assez décevante. Ce n'est pas qu'elle soit désagréable à lire, car le style de l'auteur y est reconnaissable. Le propos par contre me semble beaucoup moins intéressant. Un homme marié met enceinte une jeune fille. Pour garder les conventions, on se charge de trouver un honnête homme, à qui on a préalablement expliqué la situation et qui se charge d'être à la fois un mari pour la dame et un père pour l'enfant. A partir de là surviennent quelques renversements de situation. Cette pièce morale et philosohpique se perd en bavardages inutiles qui ont peiné à garder toute mon attention.

Notes :
Six personnages en quête d'auteur : 4/5
La volupté de l'honneur : 2/5

mardi 15 mars 2011

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, Stig Dagerman


J'ai découvert cet opuscule il y a un peu plus d'un an. C'est un des plus fidèles compagnons de ma vie depuis, et je relis ces quelques pages régulièrement, quand le besoin s'en fait sentir. Je me désaltère à cette source merveilleuse de consolation, justement. Car, pour moi, il n'y a rien là de désespérant, malgré la teinte désespérée de toutes les phrases : c'est une eau vive et fraiche qui m'apporte réconfort, plaisir, espoir.

C'est un de ces morceaux de poésie pure qui cristallisent tout ce en quoi vous croyez, et même, peut-être, ce en quoi vous croirez. Un éclat devant lequel on ne peut que s'incliner, et savourer chaque mot, chaque idée. Car c'est ce qui m'impressionne le plus : l'essai est à la foi d'une beauté à couper le souffle et d'une puissance philosophique personnelle incroyable. Les gouttes d'un l'alambic qui distillerait l'absolu. C'est bien mon sentiment face à ces mots de Dagerman : le sentiment de me trouver face à un absolu.

Le seul sentiment proprement négatif que j'en retire, c'est que je me sens misérablement incapable d'écrire quelque chose qui possède le dixième de ce génie. Tout est là. Que faire, qu'écrire, après ça ? Un de mes anciens professeurs m'avait dit un jour : « Si je n'écris pas, c'est à cause de Racine. Il me suffit de lire des vers de Racine pour calmer toute velléité à devenir écrivain. » Ils sont nombreux, en effet, ces auteurs magistraux que l'on sait bien être incapable de jamais égaler. Mais il y a toujours, enfouie quelque part au fond de soi, l'idée – désir surtout – que l'on pourra écrire quelque chose qui soit un tant soit peu nouveau, particulier, intéressant. Mais je ne vois certes pas comment rivaliser avec l'absolu.

Alors, lisez Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, comme je le lis, pour le plaisir, par une belle soirée d'automne, ou bien parce qu'une épreuve se présente qui exige toute votre énergie positive : rupture, ou temps de deuil comme aujourd'hui. Merci Stig Dagerman.


Extrait


« Mais, venant d'une direction que je ne soupçonne pas encore, voici que s'approche le miracle de la libération. Cela peut se produire sur le rivage, et la même éternité qui, tout à l'heure, suscitait mon effroi est maintenant le témoin de mon accession à la liberté. En quoi consiste donc ce miracle ? Tout simplement dans la découverte soudaine que personne, aucune puissance, aucun être humain, n'a le droit d'énoncer envers moi des exigences telles que mon désir de vivre vienne à s'étioler. Car si ce désir n'existe pas, qu'est-ce qui peut alors exister ? »



mercredi 16 février 2011

La pierre et le sabre, Eiji Yoshikawa

J'ai enfin fini ! Non que les quelque huit cents pages de ce roman de sabre soient difficiles à avaler ; j'ai seulement renoncé, en septembre, à l'emporter avec moi, de peur de ruiner mon début d'année – c'est le genre de roman qui ne vous laisse pas faire autre chose s'il est à porté. Je me suis donc replongé dedans en ce début de vacances, et je l'ai achevé. Il serait tentant de commencer sa suite, La parfaite lumière, mais elle attendra l'été.

C'est peut-être le plus connu des romans de sabre japonais : la quête de Myiamoto Musashi dans la Voie du guerrier, qui se révèle bien vite être une quête complète, une conquête de la sagesse même. Atteindre la perfection dans la maîtrise du sabre entraine l'atteinte de la perfection dans tous les domaines ; d'où l'extrait que je vous propose, où notre héros se trouve confronté à une tige de pivoine coupée par un vieux maître, Sekishusai.


Extrait :

Les vingt centimètres du morceau de tige fascinaient Musashi beaucoup plus que la fleur de l'alcôve. Il était sûr que la première entaille n'avait été faite ni avec des ciseaux, ni avec un couteau. Les tiges de pivoine étant souples et tendres, elle ne pouvait avoir été faite qu'avec un sabre, et seul un coup résolu pouvait avoir tranché aussi net. Quiconque avait fait cela n'était pas un être ordinaire. Lui-même avait eu beau tenter de reproduire l'entaille avec son propre sabre, en comparant les deux extrémités, il se rendait compte aussitôt que la sienne était inférieure, et de loin. On eût dit la différence entre une statue bouddhiste sculptée par un expert, et une autre due à un artisan moyennement habile.

Il se demanda ce que cela pouvait bien vouloir dire. « Si un samouraï qui cultive le jardin du château est capable de faire une entaille comme celle-ci, alors le niveau de la Maison de Yagyu doit être encore plus élevé que je ne pensais. »

Sa confiance l'abandonna soudain. « Je suis encore bien loin d'être prêt. »


Comment ne pas apprécier un tel roman ? C'est une formidable histoire, des personnages hauts en couleur qui ne cessent de se croiser, des rencontres magiques entre grands maîtres qui vous font sourire intérieurement et pousser – toujours intérieurement – un petit « hé hé hé » de satisfaction. En amateur de l'art du samouraï, depuis Kurosawa jusqu'à Samouraï Champloo, je ne pouvais qu'être ravi – j'en profite pour remercier « Bob » qui m'en a fait cadeau.

Il n'en reste pas moins que le style est des plus laborieux. La faute est-elle à imputer à la traduction, ô combien difficile, du Japonais au Français ? Peut-être pas uniquement... Encore une fois, c'est l'occasion de voir qu'une grande histoire, à même de charmer mon esprit avide d'aventure et de recherche de la perfection, permet de passer outre les gênes de lectures d'un style peu agréable. Rien là de la délectation de la phrase que je recherche dans mes lectures habituelles. Rien de vraiment original non plus, tout bien considéré, dans l'intrigue et ses éléments. Un roman pur et dur, en somme – pour mon plus grand plaisir, à vrai dire.

dimanche 13 février 2011

Eclipses 2000 - Lino Aldani


Pour certains la science-fiction est censée surprendre, déranger, remettre en cause les certitudes du lecteur. Et  pourtant dès les premières lignes, l'amateur de cette littérature se retrouve en terrain connu. Cette façon de penser d'un intellectuel occidental. Cette identification du lecteur au personnage principal, lui-même souvent reflet de l'auteur. Ce style classique est typique des écrits d'Asimov, de Simak et de la plupart des écrivains américains des années 50 qui ont fait école. Ce goût pour le questionnement, la spéculation. Ces thématiques qui reviennent, toujours les mêmes et le dénouement qui arrive malgré tout à surprendre grâce à une "idée" sur laquelle est construite l'histoire. La première nouvelle, qui fait plus de la moitié de ce recueil homonyme est une belle représentante de cette tradition, bien qu'elle ait été écrite par un italien à la fin des années 70. Un vaisseau à quitté la Terre voici plusieurs génération pour atteindre une autre planète vivable. Oui, mais voilà que l'un de ses passagers commence à se poser des questions. Est-ce bien la réalité ? Quels secrets cache la caste des "blancs" qui possède le pouvoir ? Divisé en deux parties, ce texte nous tient en haleine jusqu'au bout grâce à une intrigue certes assez classique mais très bien maîtrisée. Les trois suivants, légèrement moins prenants, sont tout de même très lisibles. Ils abordent tous le thème du pouvoir et mettent en scène des narrateurs en perpétuelle interrogation. Pour exprimer leur confusion l'auteur utilise parfois un style plus libre, surtout dans la dernière nouvelle.

Note : 3/5

mercredi 9 février 2011

Le Désert des Tartares, Dino Buzzati


Giro in Italia :
lire au moins 1 livre ou 1 BD d’un auteur italien (peu importe qu’il se déroule en Italie ou pas) = mission accomplie !

J'ai acheté ce livre il y a bien trois ans maintenant. De Buzzati, je connaissais l'écrivain de nouvelles : Le K. Un de mes recueils de nouvelles préféré. Un sens magistral du micro-récit, des idées souvent géniales et une interrogation constante sur l'homme et la vie. Le Désert des Tartares est le premier roman de l'écrivain italien, paru en 1949. Un jeune officier est envoyé en garnison au fort Bastiani, qui garde la frontière Nord. Des montagnes desséchées, un désert qui s'étant à perte de vue, pas âme qui vive. Des hommes sont là pour garder – mais garder quoi ? Rien ne vient du Nord. Il ne se passe jamais rien, et le temps passe, uniforme. Pourtant, chacun, au fond de soi, entretient le vague espoir que quelque chose va arriver. Même des années après, on y croit encore, à l'éveil de cette frontière ; des petits points noirs à l'horizon. Et quand ils finissent par arriver, qu'on ose à peine y croire...est-ce vraiment la guerre ?
Je lis peu de traduction maintenant, et chaque fois que je le fais je me rappelle pourquoi je n'aime pas ; on sent la grosse patte pas toujours subtile d'un traducteur, on ne peut pas saisir pleinement le style de l'auteur. C'est comme ça. Enfin, heureusement qu'on peut découvrir des écrits qu'on ne peut lire en langue originale, il y a tout de même quelque chose à apprendre ; tout ne se résume pas au style. L'abîme ouvert par Buzzati dans son roman est immense. L'extrait que je vous propose donne justement un aperçu de cette réflexion sur le temps et l'attente.

Extrait :
Tronk, à qui Giovanni avait tout à l'heure demandé des renseignements, lui avait fait comprendre que la bonne règle était de rester éveillé.
Au lieu de cela, Giovanni Drogo, étendu sur le petit lit, hors du halo de la lampe à pétrole, fut, tandis qu'il songeait à sa vie, pris soudain par le sommeil. Et cependant, cette nuit-là justement – oh ! s'il l'avait su, peut-être n'eût-il pas eu envie de dormir – cette nuit-là, justement, commençait pour lui l'irréparable fuite du temps.
Jusqu'alors, il avait avancé avec l'insouciance de la première jeunesse, sur une route qui, quand on est enfant, semble infinie, où les années s'écoulent lentes et légères, si bien que nul ne s'aperçoit de leur fuite. On chemine placidement, regardant avec curiosité autour de soi, il n'y a vraiment pas besoin de se hâter, derrière vous personne ne vous presse, et personne ne vous attend, vos camarades aussi avancent sans soucis, s'arrêtant souvent pour jouer. Du seuil de leurs maisons, les grandes personnes vous font des signes amicaux et vous montrent l'horizon avec des sourires complices ; de la sorte, le cœur commence à palpiter de désirs héroïques et tendres, on goûte l'espérance des choses merveilleuses qui vous attendent un peu plus loin ; on ne les voit pas encore, non, mais il est sûr, absolument sûr qu'un jour on les atteindra.

C'est assez proche, dans l'idée, des romans de Gracq Le rivage des Syrtes et Un balcon en forêt ; l'atmosphère d'attente, l'exploration métaphorique de la vie...mais l'écriture n'a rien a voir. J'ai lu Buzzati avec plaisir, mais pas le même plaisir qui me fait dévorer un Gracq, c'est certain. Cependant je dois dire que la réflexion philosophique a fait mouche, et qu'après l'avoir commencé, comme maintenant que je l'ai terminé, j'ai passé quelques moments dans un vague métaphysique assez déroutant. Un véritable interrogation humaine, poignante et toujours d'actualité.

lundi 7 février 2011

Indignez-vous ! - Stéphane Hessel


Extrait 1 :
Le motif de base de la Résistance était l'indignation. Nous, vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes  de la France, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la Résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.

Je viens tout juste de terminer cet étonnant et incroyable succès littéraire (11ème édition !) qu'est "Indignez-vous !", livret d'une trentaine de pages rédigé par un ancien résistant et vendu trois euros par une toute petit maison d'édition (Indigènes). D'accord, tout cela est bien joli, mais que dit il ? S'il revient rapidement sur son expérience de résistant, c'est pour évoquer l'héritage du Conseil National de la Résistance qui est aujourd'hui menacé (retraites, sécurité sociale, liberté de la presse...) De même son engagement politique qui l'a amené à être co-rédacteur de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (excusez du peu !) luit fait prendre la défense de ceux-ci. Cependant ce n'est pas un livre de mémoires et Stéphane Hessel, à l'orée de sa vie, appelle le lecteur à se révolter contre les motifs d'injustices actuels, qui peuvent paraitre dans un monde "trop complexe" moins évidents qu'ils ne l'ont été au XXe siècle. Quels sont ils selon lui ? Tout d'abord "L'immense écart qui existe entre les très riches et les très pauvres et qui ne cesse de s’accroitre". Puis les Droits de l'Homme, thème qu'ils développe longuement. Enfin il consacre un chapitre entier sur son "indignation à propos de la Palestine". Il clôt son ouvrage par un appel à "une insurrection pacifique", selon lui plus efficace que la violence, qui si elle est souvent compréhensible est inégalement inacceptable. De mon point de vue le succès de ce livre s'explique facilement : dans une société dont la réalité est de plus en plus éloignée des valeurs de solidarité et alors que se développe un sentiment général d'injustice, beaucoup de gens trouvent dans Stéphane Hessel un porte-parole inespéré pour crier leur indignation. Il suffit de voir les bâtons dans les roues qu'essayent de lui mettre certains lobbies (dont le CRIF pour ne pas le citer) lorsqu'il veut rappeler des principes aussi simples que le respect des Droits de l'Homme, pour comprendre que ce n'est pas inutile.

Extrait 2 :
Non, cette menace (Ndr : "la barbarie fasciste") n'a pas totalement disparue. Aussi, appelons-nous toujours à une "véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous."
A ceux et celles qui feront le XXIe siècle, nous disons avec notre affection :

"CREER, C'EST RESISTER.
RESISTER, C'EST CREER."

Note 5/5

dimanche 6 février 2011

L'attrape-coeurs - J.D. Salinger


Depuis le temps que je la cherchais ma putain d'errance américaine... Ce livre je voulais pas le lire. Vrai. Il était juste posé sur une armoire, verte avec des godasses dedans et il me faisait de l’œil. Alors j'ai lu le début, juste comme ça, parce que je cherchais un bouquin à emmener aux toilettes. Puis le nom me disait quelque chose, je savais plus trop si c'était connu ou quoi, en plus ça ressemblait à L'arrache-cœur. Dans ce bouquin c'est un gars qui se fait virer de son collège, parce que c'est une école de schnocks et que ça le blase quand on lui dit qu'il faut se suicider ou un truc comme ça si l'équipe de foot perd un match. Du coup il met les voiles et il se paie une virée à New York. Ce gars, je l'aime bien. Des fois il fait un peu gamin mais juste après il sort un truc vachement intelligent et puis j'aime bien comment il raconte et tout. A la fin du bouquin on a presque envie de passer un coup de bigo à l'écrivain. Pas pour le remercier, ni rien, juste pour parler un petit moment avec lui, mais c'est pas possible parce qu'il est mort. Même qu'il parait qu'il était misanthrope. Ça c'est ma mère qui me l'a dit. Misanthrope. Ouah ! Ça m'a tué.

Extrait :
Le nom du gars c'était Georges quelque chose - je me rappelle même pas - et il était à Andover. Tu parles. Vous auriez dû le voir quand Sally lui a demandé comment il trouvait la pièce. C'était le genre de mec bidon qui a besoin d'espace pour répondre quand on lui pose une question. Il a reculé, et il a marché en plein sur le panard de la dame qu'était derrière lui. Il lui a probablement cassé tous les orteils. il a dit que la pièce en elle-même était pas un chef-d’œuvre mais que les Lunt bien sur étaient tout simplement des anges. Des anges. Ça m'a tué. Puis lui et Sally se sont mis à parler d'un tas de gens qu'ils connaissent tout les deux. C'était la convers' la plus débile que j'aie jamais entendue.
Note : 4/5